Publié le 25/05/2020

Le droit de rétractation d’un professionnel : explication avec une jurisprudence récente

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Dans un jugement du 11 mai 2020, le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Lille a rendu une décision favorable à ma cliente, psychothérapeute, qui avait conclu un contrat de licence d’utilisation de logiciel et de prestations de service (création d’un site internet).
La rétractation est l'expression du remors

Ma cliente a signé un contrat de licence d’utilisation de logiciel et de prestations de service le 13 février 2018 avec un prestataire professionnel.

Le même jour, un contrat de location de site web a été signé par la cliente avec une société de leasing professionnel très connue.

La cliente, rencontrant de nombreuses déconvenues avec le site internet proposé, a notifié, par LRAR du 1er août 2018, sa volonté de résilier le contrat.

Pour unique réponse, la société de leasing professionnel a écrit à la cliente le 13 septembre 2018 pour préciser que la résiliation du contrat prendrait effet après paiement de tous les loyers jusqu’au 20 février 2022 inclus.

Par mon intermédiaire, la cliente a usé de son droit de rétractation par LRAR du 24 décembre 2018.

La société de leasing professionnel a prétendu que les dispositions du Code de la consommation n’étaient pas applicables et a maintenu sa demande en paiement.

Une action a donc été engagée devant le Tribunal d’instance de Lille, devenu avec la réforme de la procédure civile, le Juge des contentieux de la protection.

Un professionnel qui signe un contrat de prestations de service de site internet et de maintenance de logiciel peut-il invoquer les dispositions du Code de la consommation pour bénéficier du droit de rétractation ?

L’article L221-18 du Code de la consommation dispose : « Le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d'autres coûts que ceux prévus aux articles L. 221-23 à L. 221-25. » Pour bénéficier de ce délai de rétractation, il faut donc que le contrat ait été conclu, alternativement : A distance (commande sur internet par exemple) ; A la suite d’un démarche téléphonique ; Hors établissement c’est-à-dire :

  1. dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ;

ou 2) dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ; ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur.

Dans ce litige, le contrat avait été conclu hors établissement.

Mais la cliente pouvait-elle bénéficier des dispositions protégeant les consommateurs ?

Dans les relations BtoB (business to business), les dispositions du Code de la consommation ne sont pas applicables.

L’article préliminaire du Code de la consommation précise d’ailleurs :

« Pour l'application du présent code, on entend par :

  • consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; »

POURTANT, il y a une exception.

L’article L221-3 du Code de la consommation précise :

« Les dispositions des sections 2, 3, 6 du présent chapitre applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq. »

En d’autres termes, pour qu’un professionnel puisse se prévaloir du droit de rétraction il faut :

  1. Que l’objet du contrat N’ENTRE PAS DANS LE CHAMP DE SON ACTIVITE PRINCIPALE ;
  2. Que le professionnel N'AIT PAS PLUS DE 5 SALARIES ;
  3. Que le contrat ait été conclu HORS ETABLISSEMENT.

Ma cliente exerce seule et son contrat a été conclu hors établissement.

Mais une question restait en suspens : un contrat de prestations de service de site internet et de maintenance de logiciel entre-t-il dans le champ de l’activité principale d’une psychothérapeute ?

La réponse à cette question était cruciale et la validité de la rétractation en dépendait.

Sur ce point, il existait un précédent : dans un arrêt du 12 septembre 2018 la Première Chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée dans un contrat de création et de licence d'exploitation d'un site Internet dédié à l’activité professionnelle d’une architecte en confirmant la Cour d’appel de DOUAI qui avait estimé que :

« la communication commerciale et la publicité via un site Internet n'entraient pas dans le champ de l'activité principale de Mme X..., architecte » (Civ. 1ère, 12 sept. 2018, n°17-17319).

Le Juge des contentieux de la protection a adopté la même tendance en estimant que, la cliente n’étant pas spécialisée dans la fourniture de services informatiques, elle n’avait pas conclu le contrat dans le champ de son activité professionnelle.

En d’autres termes, le Juge a estimé que ma cliente pouvait se prévaloir des dispositions de l’article L221-3 du Code de la consommation et donc du bénéfice du droit de rétractation.

Mais, me direz-vous, le délai de rétractation est de 14 jours! En notifiant ce droit 10 mois plus tard, il n’était plus valable !!!

Et bien c’est l’article L220-20 du Code de la consommation qui permet de justifier la validité de la rétractation exprimée par la cliente :

« *Lorsque les informations relatives au droit de rétractation n'ont pas été fournies au consommateur dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 221-5, le délai de rétractation est prolongé de douze mois à compter de l'expiration du délai de rétractation initial, déterminé conformément à l'article L. 221-18. *»

Le professionnel n’avait pas considéré que les dispositions du Code de la consommation venait s’appliquer à la relation contractuelle avec ma cliente.

Il n’avait donc pas donné les informations relatives au droit de rétractation.

Par cet « oubli », un délai de douze mois s’ouvrait donc à ma cliente pour se rétracter, ce qu’elle a fait régulièrement, par mon intermédiaire.

Le professionnel, n’ayant pas recueilli l’accord de ma cliente pour l’exécution du contrat avant la fin du délai de rétractation, ne pouvait donc pas soutenir que la prestation ayant été exécutée même partiellement, le contrat ne pouvait pas être anéanti.

La société de leasing professionnelle, quant à elle, prétendait que son contrat était un contrat de services financiers qui échappait aux dispositions concernant le droit de rétractation.

Le Juge a rejeté le raisonnement en décidant que le contrat principal de licence d’utilisation de progiciel mettait automatiquement fin au contrat accessoire de location de site web.

En résumé : ma cliente a vu les contrats anéantis par la validation de son droit de rétractation.

Elle sera remboursée des sommes versées aux professionnels condamnés.

Il est indispensable de bien construire ses contrats en fonction de la qualité du client.

Et pour cela, il ne faut pas se contenter de penser que la prestation est fournie à un professionnel pour se dispenser de respecter les prescriptions du Code de la consommation.

Il est au contraire indispensable d’interroger le client pour savoir dans quel cadre le contrat est-il conclu.

La meilleure chose à faire, c'est donc de peaufiner son arsenal contractuel avec l'aide d'un professionnel : un avocat bien sûr :)